La chauve-souris

Je vole de nuit, mais vous ne me voyez pas. Je crie pour me faire une image sonore de mon environnement, mais vous ne m’entendez pas. Suivez-moi, je vous invite à une balade dans l’inaudible et l’invisible !

J’ai beau avoir de bons yeux, la nuit je me déplace entre les branches grâce à l’écholocation : j’émets des ultrasons dont les échos me servent à reconstituer les environs, comme un radar ! Au fait, je m'appelle l’oreillard roux : je suis l’une des 24 espèces de chauves-souris connues dans le Canton de Fribourg, et nous sommes nombreuses à utiliser la forêt comme terrain de chasse. Je me nourris essentiellement de papillons de nuit, mais mes cousines chassent également des moucherons volants et parfois des coléoptères au sol. J’ai besoin d’énormément d’énergie pour pouvoir voler et je peux ingérer chaque nuit un peu plus de mon propre poids en insectes.

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Mais encore...

Oiseaux poilus ou mammifères volants ?

Pendant longtemps, les naturalistes ne savaient pas où classer les chauves-souris, "ces oiseaux vivipares avec des poils", comme les décrit Pline l’Ancien dans son "Histoire naturelle" en 77 après J.C. Grâce à leur patagium, cette membrane vascularisée tendue entre leurs doigts et leurs pattes, elles sont en effet les seuls mammifères capables de voler et forment dans cette classe un ordre à part entière, les "chiroptères" (du grec chiros, "main" et ptera, "aile").

Les chauves-souris sont les seuls mammifères à pouvoir voler, et ceci dans l’obscurité la plus totale. Mais cette adaptation en a appelé d’autres : elles ont développé sous nos latitudes un sonar performant, l’écholocation, pour s’orienter et chasser les insectes, ainsi que la capacité d’hiberner pour économiser leur énergie durant l’hiver. Les chauves-souris ont une autre particularité étonnante, celle d’avoir une longévité hors norme par rapport à leur taille. Alors qu’une souris a une espérance de vie de 1 à 2 ans dans la nature, les chauves-souris peuvent vivre plusieurs dizaines d’années. Actuellement le record est détenu par un Murin de Brandt qui a dépassé 40 ans, alors qu’il ne pèse guère plus de 6 grammes.

Une dépense d’énergie phénoménale

Les chauves-souris sont les seules à se nourrir la nuit d’insectes volants : elles ont donc accès à une niche écologique presque sans concurrence pour attraper papillons de nuit, tipules et autres moustiques. Mais cela a un coût, énergétique notamment. Voler demande près de deux fois plus d’énergie pour se déplacer que la marche !

Première contrainte : où trouver l’énergie nécessaire au vol ? Les chauves-souris affichent un métabolisme élevé pour faire face à la dépense énergétique qui leur est imposée par le vol battu. En zones tempérées, elles sont généralement de petite taille et sont actives dans des régions où les températures nocturnes restent relativement fraîches, même en plein été. Alors que sous les tropiques, bon nombre d’espèces se nourrissent de fruits ou de nectar riches en sucre. Sous nos latitudes, toutes les chauves-souris sont strictement insectivores : un vrai régime d’athlète à base de pures protéines !

La dépense d’énergie augmente d’un facteur 15 à 20 pendant le vol ; en pleine activité de chasse, leur cœur bat très vite, plusieurs centaines de battements à la minute. Le sonar est lui aussi très gourmand en énergie. Pour faire face à ces énormes besoins, un chiroptère sous nos latitudes peut consommer en une nuit jusqu’à 1.2 fois son propre poids en insectes. Cela représente pour une pipistrelle qui pèse de 3 à 8 g l’équivalent de près de 5'000 moustiques chaque nuit !

L’écholocation, le sixième sens des chauves-souris

Deuxième contrainte : comment faire pour se déplacer et chasser de petites proies de nuit ? Les chauves-souris ont une bonne vue, mais ce n’est pas suffisant pour se déplacer la nuit : elles utilisent à cet effet un autre sens, l’écholocation. Ce sonar perfectionné leur permet de se faire une image sonore de leur environnement en utilisant l’audition active ; elles émettent des cris à haute fréquence (entre 10 et 120 kHz pour les espèces locales), en captent les échos avec leurs oreilles puis analysent ces signaux pour construire une image tridimensionnelle de leur environnement, en fonction de l’intensité des échos perçus et du temps qu’ils ont mis pour lui revenir. Ce système de détection est très performant et permet aux chauves-souris de percevoir une petite chenille sur une feuille ou un moustique en vol.

Dormir pour mieux passer l’hiver

Troisième contrainte : comment survivre à l’hiver en région tempérée, lorsque l’unique ressource alimentaire, les insectes, viennent à manquer durant certaines périodes de l’année ? Alors que les oiseaux confrontés au même dilemme migrent au sud pour la plupart, les chauves-souris sont une majorité sous nos latitudes à pratiquer l’hibernation. Si en été les chiroptères ont un métabolisme élevé, avec une chaleur corporelle de 39°C et environ 300 à 400 battements de cœur à la minute, cette activité est réduite au strict minimum en hiver pour épargner l’énergie : les chauves-souris laissent descendre leur température corporelle aux environs de 15°C, leur rythme cardiaque diminue à seulement 11 à 25 battements à la minute et leur respiration est entrecoupée d’apnées qui peuvent durer 90 minutes… Elles consomment alors moins de 1 % de l’énergie qu’elles utiliseraient à la chasse. Elles perdent tout de même près d’un tiers de leur poids durant cette période critique de leur cycle de vie. Quelques réveils ponctuent ce repos hivernal, pour se réhydrater, pour chasser ou pour se déplacer si les conditions se dégradent.

Longue vie aux chauves-souris !

Chez les mammifères, plus on est gros et plus on vit vieux. Les chiroptères sont une exception notable à cette règle quasi immuable. Contrairement aux souris et aux autres petits vertébrés qui misent sur la production d'un grand nombre de jeunes avec une espérance de vie faible, elles n’ont qu’un, voire deux jeunes par année, qui peuvent représenter jusqu’à un quart du poids de la femelle à la naissance. Ce nombre limité de naissances est compensé par une longévité élevée : il n’est pas rare qu’elles vivent plusieurs dizaines d’années.

Les chauves-souris n’ont que peu de prédateurs naturels : leur mode de vie discret et nocturne les met bien souvent à l’abri des rapaces ou des carnivores terrestres. Il arrive toutefois qu’une chouette hulotte ou qu’un faucon hobereau en capture une imprudente à la tombée de la nuit.