Les insectes xylophages

On me critique beaucoup, mais je ne suis pas le seul insecte à me nourrir de bois. Nous sommes même plutôt nombreux : plus de 300 autres coléoptères comme moi pondent leurs œufs dans le bois. Et il n’y a pas que les coléoptères : certains papillons et abeilles le font également.
Mais attention, je ne m’attaque pas à n’importe quel bois ! Pour ma part, je ne m’intéresse qu’aux épicéas, affaiblis ou mourants, mais pas morts ! À chacun·e ses préférences : mon cousin le monochame aime aussi bien les conifères, mais seulement s’ils sont secs. Les lucanes, elles, ne se nourrissent que de bois de chêne mort, alors que les larves de la rosalie se délectent uniquement du bois des hêtres.
Mais encore...
Les arbres morts sont vivants ! Cette affirmation peut sembler contradictoire, mais les vieux arbres et le bois mort en général remplissent un rôle précieux dans l’écosystème forestier. Il peut s’agir d’habitat pour les oiseaux ou les chauves-souris, de support pour les champignons, ou de garde-manger pour les larves d’insectes xylophages. Ces dernières se nourrissent essentiellement de bois mort, sous forme partiellement décomposée par des bactéries ou des champignons qui peuvent digérer la lignine, une des principales composantes chimiques du bois. Seul un petit nombre d’insectes est capable d’attaquer le bois frais et de s’en nourrir.
Les coléoptères constituent la grande majorité des insectes dont les larves se développent dans le bois mort et les vieux arbres. Un peu moins de 300 espèces de coléoptères xylophages sont connus en Suisse, dont près de la moitié sont menacées de disparition. Parmi elles, de grandes espèces emblématiques comme la rosalie des Alpes qui se développe dans les vieux hêtres, ou le lucane cerf-volant dont les mâles présentent de très grandes mandibules. D’autres espèces plus petites et moins connues font partie de ce groupe, comme les buprestes, qui montrent souvent de magnifiques couleurs métallisées. Le bostryche typographe, qui attaque des arbres affaiblis ou en train de mourir, surtout des épicéas, fait également partie de ce groupe.
Le cycle vital de tous les coléoptères xylophages passe par quatre stades successifs : œuf, larve, nymphe et adulte. La durée de développement de la larve peut osciller entre quelques mois et plusieurs années pour les plus grandes espèces, alors que les adultes vivent rarement plus longtemps que quelques semaines. Si certaines espèces exploitent une ou plusieurs espèces d’arbres, d’autres sont spécialisées sur une essence en particulier : c’est le cas du monochame dont les larves ne s’attaquent qu’aux épicéas, ou du lucane dont la larve ne se développe que dans les chênes.
Les forêts de notre pays montrent souvent un déficit en bois mort. Des forêts naturelles sans exploitation présentent un volume de bois mort qui peut atteindre 400 m3 à l’hectare. Les valeurs dans les forêts du canton de Fribourg atteignent en moyenne une valeur de 38 m3/ha.
Le bois mort peut se présenter sous forme de troncs couchés ou sur pied, mais également de vieilles souches ou de tas de branches. Cette variété de bois mort, mais également sa quantité, détermine la biodiversité en forêt. Les insectes xylophages jouent ainsi un rôle primordial pour l’équilibre forestier et le recyclage de la matière1.
Au final, le bois mort, en forêt, c’est la vie !
1 https://totholz.wsl.ch/fr/bois-mort/habitat-diversifie/