L'apparition des champignons

J’observe souvent et j’envie parfois mes voisins très actifs : les lombrics qui se faufilent dans le sol ou les collemboles qui peuvent se projeter dans les airs. Moi je suis un sédentaire. Je ne peux pas me déplacer comme le font certains animaux : une fois installé, impossible de déménager !

J’étends mon réseau de filaments sous terre, le mycélium, parfois sur plusieurs kilomètres et je produis une fructification : ce «champignon» que vous voyez à différents endroits chaque année. Il peut prendre des formes variées selon les espèces : chapeau rouge à points blancs pour l’amanite tue-mouche ou capet brun discret pour le bolet.

Mais encore...

Dans les sols forestiers, les champignons sont partout, mais ils restent absolument invisibles le plus clair du temps : la plupart est constituée de filaments ramifiés, le mycélium, qui est enfoui dans le sol et peut s’étendre sur des centaines de mètres carrés, voire plusieurs hectares ! Dans un mètre carré de sol, le réseau formé par ces filaments minuscules peut atteindre 10’000 km de longueur totale. Ce n’est que lorsqu’ils forment des fructifications que les champignons deviennent alors visibles. Pour ce faire, le mycélium est capable de transporter très rapidement des quantités importantes d’eau et de substances d’un endroit à l’autre du sol : la fructification d’un champignon peut se former en un ou deux jours, parfois quelques heures. Cette translocation d’aliments organiques et de sels minéraux prend une importance toute particulière chez les champignons mycorhiziens, qui transfèrent des éléments nutritifs du sol vers une plante, en échange d’autres composés nutritifs.

Les champignons se déplacent mais certainement pas comme le font les animaux terrestres. Si la plupart des champignons fructifient à des endroits différents selon les années, leur réseau souterrain peut s’étendre sur de grandes surfaces. Il existe par contre des sortes de champignons qui non seulement se déplacent, mais avalent tout sur leur passage.

Ces organismes étranges, à tel point qu’on ne sait plus vraiment comment les classer dans le monde du vivant, sont appelés myxomycètes. Ni vraiment champignons, ni animaux, ils sont proches des amibes - de minuscules animaux informes - et se déplacent dans les sous-bois de nos forêts à la recherche de leurs proies; des bactéries et des algues.

Deux phases successives caractérisent le cycle des myxomycètes : une phase mobile pendant laquelle ils se nourrissent et une phase immobile où ils se fixent et forment une fructification. Comme ils se déplacent activement et qu’ils chassent en phagocytant leur nourriture, les myxomycètes pourraient être considérées comme des animaux. Mais ces mêmes créatures peuvent se figer, former des sporanges et libérer des spores, comme les champignons… Par contre, ils ne possèdent pas de mycélium comme les autres champignons. Ce casse-tête a conduit à leur classification dans l’embranchement des amibes plutôt que des champignons.

On trouve des myxomycètes en forêt, et plus largement partout où ils trouvent à manger, c’est-à-dire de la matière végétale en décomposition et du bois pourri. Les myxomycètes se plaisent dans nos forêts tempérées où alternent des périodes humides pour se déplacer et plutôt sèches pour la maturation de ses spores.

Pour apercevoir un myxomycète dans le sous-bois forestier, rien de tel qu’un affût : idéalement quelques jours après une forte pluie. Commence alors l’attente : les myxomycètes sous forme de plasmode (la forme mouvante) se cachent souvent dans le bois mort mais peuvent en sortir pour se nourrir. Ils mesurent plusieurs centimètres, parfois plusieurs dizaines de centimètres (des individus en laboratoire se sont étendus sur plus de 10 mètres carrés) et sont souvent de couleur vive. Une fois aperçus, ne les quittez pas des yeux : ils se déplacent à une vitesse de quelques centimètres à l’heure.

Un myxomycète est devenu célèbre : il s’agit du blob, ou Physarum Polycephalum de son petit nom, qui a été "élevé" en laboratoire et a fait l’objet de différentes expériences. On a ainsi pu déduire que les myxomycètes sont dotés d’une forme d’intelligence spatiale : il trouve par exemple sans hésiter le plus court chemin dans un labyrinthe où a été disposée de la nourriture à la sortie.