La vie du sol

Ça fourmille là-dessous ! Il y a déjà bien longtemps que je suis actif dans le sol, surtout autour des racines des arbres, mais cela continue de m’étonner: quel nombre et variété incroyables de formes de vie dans le sol !

Dans la litière, je vois ces lombrics, ces cloportes et ces larves d’insectes se démener pour fragmenter les feuilles tombées par terre. Puis les collemboles, aidés par les acariens et les nématodes, continuent le travail de dégradation initié par les plus grands animaux. Enfin, des protozoaires, d’autres champignons et des bactéries entrent en jeu pour continuer à incorporer la matière organique dans le sol. Un véritable travail de recyclage auquel tout le monde participe. La boucle est bouclée !

Mais encore...

Le sol est vivant et on l’oublie parfois. Les champignons, dont certains forment des mycorhizes, jouent un rôle prépondérant dans le sol, par exemple pour le transport de sels minéraux jusqu’aux racines des végétaux. Mais ils sont secondés par une myriade d’autres organismes qui représentent presque l’ensemble des embranchements connus. Sous nos pieds, se trouvent des organismes souvent invisibles, mais très nombreux : algues, bactéries, protozoaires, animaux divers et variés... Tous sont des acteurs essentiels du fonctionnement des sols. Un véritable écosystème dont seule une partie des rouages est actuellement connue, ce qui a mené des chercheurs à définir le sol comme la « dernière grande frontière du vivant ».

Le nombre et la biomasse des organismes du sol dépassent souvent l’imagination : plus d’un million d’êtres vivants, représentant plusieurs milliers d'espèces différentes, résident dans chaque gramme de sol ! Rapportée à l’échelle d’un échantillon d’un hectare (100 m x 100 m), la masse d’organismes vivants atteint jusqu’à 12 tonnes : par exemple 3,5 tonnes de champignons, 1,5 tonnes de bactéries et jusqu’à 5 tonnes de petits animaux, le reste étant constitué d’algues, de protozoaires et de racines1. Qui sont-ils ? Si les vers de terre, les escargots et les limaces, sont bien connus, d’autres habitants de ces contrées inexplorées le sont moins : les protozoaires (amibes et compagnie), les nématodes (vers non segmentés), les plathelminthes (vers plats), les tardigrades (sorte de petits oursons tout gonflés) et tous les arthropodes (insectes et autres animaux à corps segmenté). Ce dernier groupe rassemble les insectes, mais également les araignées et les acariens, les mille-pattes (myriapodes) et tous les crustacés (cloportes).

Chacun de ces organismes mène sa petite vie et remplit un rôle qui permet au sol de fonctionner correctement, avec des transferts de matière et d’énergie. Ce sont les véritables « prolétaires » du sol. Modestes par leur taille et passant souvent inaperçus, ce sont pourtant toutes ces « petites mains », ou plutôt toutes ces petites pattes, qui font marcher la machine : décomposition et recyclage de la matière organique, production d’éléments nutritifs, stockage de l’eau, perméabilité, fertilité du sol,…

Les vers de terre ou lombrics jouent un rôle capital dans le brassage et l’aération des sols. Ils remuent de grandes quantités de terre, ramènent en surface les horizons riches en matière minérale et enfouissent la matière organique. Leur densité dans les sols forestiers atteint entre 100 et 200 lombrics par mètre carré, et ils font remonter environ 700 kg de terre chaque année à la surface dans leurs déjections appelées turricules. Ils forment également des galeries qui jouent un rôle important pour l’aération du sol et la circulation de l’eau. On estime qu’il y a plusieurs centaines de mètres de galeries sous chaque mètre carré en forêt !

Les collemboles sont des insectes peu connus, mais sont omniprésents dans les sols. Ils mesurent souvent entre un demi-millimètre et 5 millimètres et se déplacent à l’aide de leur « furca », une sorte de catapulte disposée sous leur abdomen qui leur permet de faire de grands bonds. Avec cet outil, des collemboles de 2 mm peuvent sauter jusqu’à 16 cm, soit 80 fois leur propre longueur ! On a mesuré, lors des sauts, des pics d’accélération voisins de 970 m/s2 ce qui correspond à une accélération de 98.9 G, soit environ 10 fois plus que l’accélération que subit un pilote de chasse lors d’un virage très serré ! On compte entre 2’000 et 200'000 individus de collemboles au mètre carré, et ils jouent un rôle important dans la fragmentation et le brassage de la matière organique. Ils se nourrissent principalement de champignons.

Les fourmis sont également des insectes qui sont très présents sur et dans les sols forestiers. Comme les abeilles, les fourmis vivent en communautés organisées, avec des castes aux tâches clairement définies. Leur densité en forêt atteint environ 200 individus par mètre carré pour les fourmis des bois, et elles exercent une grosse pression de prédation sur les autres insectes. Les fourmis des bois transportent sans arrêt de petites brindilles, des aiguilles de conifères et d’autres restes végétaux : cela participe également au brassage du sol.

1 Gobat, Aragno et Matthey (2010). Le Sol vivant. Bases de pédologie - Biologie des sols. Presses polytechniques et universitaires romandes. Lausanne.

2 https://collemboles.fr